Prologue

Prologue – Le Passage
Il est des objets qui ne nous appartiennent qu'en silence.
Des objets plus vivants que nos certitudes, plus fidèles que nos mémoires.
Ce foulard, par exemple.
À rayures blanches, beiges et saumon.
En lin froissé, comme une lettre trop souvent relue.
Il n'a pas de propriétaire. Seulement des hôtes.
On l'appelait Le Passage.
Il était parti de La Baule un matin d'été, léger autour d'un cou d'homme, confiant, presque heureux.
Puis, dans un froissement discret, il s'était détaché de l'histoire d'un être pour rejoindre celle d'un autre.
Dans un avion, entre Chypre et Guatemala City, il avait glissé entre deux sièges — abandonné ou confié au vent, nul ne sait.
À San Salvador, il s'était mêlé aux notes d'un musicien bohème, inspirant des mélodies qui faisaient pleurer les pierres.
À Madrid, suspendu à un balcon, il avait figé l'œil d'une photographe, persuadée d'y capturer une âme errante.
Mais il ne faisait que passer.
Car ce foulard ne s'attache à personne. Il révèle. Il écoute. Il enlace.
Il revient parfois.
Un jour, dans un TGV reliant Paris à La Baule, il était là. Noué au cou d'une inconnue.
Et toi, tu étais là aussi.
Tu ne l'as pas reconnue, elle.
Mais lui. Ton foulard. Ton parfum. Ton histoire.
Ce moment n'avait rien d'un miracle. C'était un rappel.
Un fil que l'on croyait rompu et qui, contre toute attente, tissait encore du sens.
Un bout de tissu, froissé par les kilomètres et chargé de présences, avait retrouvé ton odeur : celle des jours d'élan, de rendez-vous, de ciel sans plafond.
Et dans les yeux de cette femme, ce n'était pas de l'amour.
C'était la mémoire.
D'un lien.
D'un pacte.
D'un passage.