Le Foulard du Titanic

On dit qu'il était de soie, bleu nuit avec des reflets d'orage. On dit qu'il portait encore, un siècle plus tard, l'odeur du sel, du bois ciré, et d'un parfum de rose ancienne. Ce foulard, oublié dans les replis du temps, appartenait à une femme que l'on appelait Isadora Lane.
Elle montait à bord du Titanic en avril 1912, vêtue d'un manteau clair et de ce foulard serré autour de son cou. Une Anglaise éprise de liberté, fuyant un mariage arrangé à Londres, partant rejoindre à New York un homme qu'elle aimait en secret. Un homme dont elle n'avait qu'une photo et une promesse griffonnée à la hâte : « Wait for me on the docks. I will wear the same red carnation. »
Chaque soir sur le paquebot, Isadora sortait sur le pont, nouait son foulard contre le vent, et récitait en silence ses espoirs. Le 14 avril au soir, la nuit était claire, les étoiles si nombreuses qu'on aurait cru le ciel inversé. Le choc fut bref. Une vibration sourde, une rumeur glacée dans l'échine.
Quand l'eau envahit les ponts inférieurs, Isadora tendit son foulard à un jeune garçon effrayé – le fils d'une passagère de troisième classe. « Tiens », dit-elle, « serre-le contre toi, il portera ton nom. »
On ne revit jamais Isadora Lane.
Mais des années plus tard, à Halifax, dans les affaires recueillies des victimes, un marin retrouva ce foulard. Sur l'étiquette, une broderie discrète : "I.L."
On raconta alors que ce foulard avait été vu, porté par un jeune garçon sauvé in extremis par un inconnu. Qu'il avait grandi, traversé les États-Unis, et qu'il gardait ce morceau de soie comme un talisman, persuadé qu'une femme lui avait offert sa vie.
Depuis, ce foulard a été transmis de génération en génération. Il n'est pas exposé dans un musée. Il dort dans un tiroir, chez une arrière-petite-fille qui, parfois, le sort pour le caresser du bout des doigts, en murmurant :
« À celle qui a aimé jusqu'au bout, en offrant son souffle au vent. »